Rencontre Avec...
Nikos Kastrinos est crétois.
Crétois à PARIS, où il exerce ses talents de restaurateur
au “Minotaure”, Rue de la Huchette dans le 5ème arrondissement.
Dans son regard se lit la nostalgie des exilés, de ceux qui, un
jour, ont emprunté les chemins du monde en laissant un langage,
des êtres, un ciel.
L’homme en partance est riche de sa culture. Nikos est de ceux là.
Sa lyre l’a suivi jusqu’en France comme un prolongement de
lui même. La musique le ramène aux confins des rivages crétois,
berceau d’une culture multi-millénaire.
Certains soirs, des caves du 5ème arrondissement s’exhalent
des accents égéens qui se mêlent à la nuit
parisienne. Là, on aimerait partir. Oui, on aimerait partir.
En Crète, vous étiez musicien, à PARIS, vous
êtes restaurateur, néanmoins vous ne pouvez quitter votre
lyre. Vous donnez des cours et, de temps en temps, vous accompagnez vos
musiciens pour le plus grand plaisir de vos clients. D’où
vient cette passion ?
Nikos Kastrinos : Elle vient de mon grand-père. Quand j’étais
jeune, je jouais en cachette avec la lyre de mon grand-père. En
cachette parce que mon père avait peur que je laisse mes devoirs
scolaires. Et un jour, à l’occasion d’une grande fête,
des amis de la famille sont venus féliciter mon père et
lui ont dit : « ton fils joue bien ». Il était tellement
fier qu’il m’a acheté une grande lyre. Depuis, je joue
et quand on joue de la lyre, on ne plus s’en passer. Et c’est
encore à cause de la lyre que je suis venu en France pour jouer
dans un établissement et je suis resté. Maintenant, j’ai
des jeunes enfants, je leur apprends pour prolonger la tradition. Et ils
ont envie d’apprendre.
Existe-t-il des écoles de lyre ?
NK : En Crète, dans toute les grandes villes. Actuellement, il
y a une recrudescence importante de l’intérêt pour
cet instrument. Une pépinière de jeunes talents s’épanouit.
De plus, la Crète est quasiment la seule région de Grèce
où l’on conserve cette tradition de la lyre lors des fêtes
familiales et locales. Il y a vraiment une fierté crétoise
pour la musique et les traditions insulaires.
On apprend cet instrument de père en fils…
NK : Oui, c’est vrai. Principalement les garçons. Mais on
trouve à présent quelques filles, et je dois avouer ma surprise
lors de mon dernier séjour dans l’île, à l’occasion
d’un concert donné par de jeunes joueurs dont le professeur
était une femme.
Peut-on dire que la lyre a une origine divine ?
NK : Oui, bien sûr. J’en suis convaincu. Souvenons nous d’Apollon.
Le son de la lyre est unique, très particulier, différent
de celui du violon. On peut dire qu’il est fait pour la musique
crétoise. On dit en Crète : « Si la Crète a
deux vies, une de ces vies est la lyre. »
La lyre est rarement seule dans un orchestre, elle côtoie la guitare,
le laoùto (luth), la mandoline dans l’expression musicale
crétoise.
Quelle est sa particularité dans l’orchestration ?
NK : Normalement, elle est avec un Laoùto.
La lyre est un instrument qui joue des sons longs, mais elle doit être
accompagnée ; autrefois, c’était avec un tambourin
(daoùli), aujourd’hui, en Crète, la lyre est avec
2 luths – un qui garde le rythme, l’autre qui accompagne la
lyre- Les plus jeunes ont mis la guitare mais gardé le luth.
Parfois, on voit un bouzouki, mais le bouzouki ne va pas avec la lyre
parce que, lui aussi, joue des sons longs et le bouzouki a besoin d’une
guitare ou d’un accordéon en accompagnement. Quand les Vénitiens
sont venus en Crète, ils ont introduit la mandoline, mais ce n’est
pas l’accompagnement naturel.
Dans les nouveaux orchestres, on met une lyre, une guitare et une mandoline
ou même parfois, une boîte à rythme. C’est dommage,
ça fausse la sonorité. Ce n’est plus la musique crétoise.
Quelle est la différence entre le rizitiko et les mantinades,
deux expressions de la musique crétoise ?
NK : Le rizitiko est avant tout l’expression du malheur et de la
joie des gens, de l’âme profonde crétoise à
travers les épreuves (occupation, tragédies). La région
de Sfakia et tout l’ouest de la Crète a conservé de
tous temps et malgré l’adversité, ses traditions et
l’âme de la Crète..Les Mantinades, c’est autre
chose, c’est une expression optimiste, on parle d’amour, du
chagrin d’amour et le Crétois est toujours amoureux
Que peut-on dire des rythmes ?
NK : Chaque région a sa façon de jouer les Mantinades. A
l’ouest, c’est dynamique, plus dur ; à l’est,
c’est plus mélodieux, sans doute parce qu’il y a plus
de joueurs de violons à Héraklion, Lassithi. En plus, il
y a dans chaque département des musiques particulières :
« les Kondilies » musique qui accompagne des vers ou groupes
de vers ; on entend les kondilies d’Héraklion, kondilies
de Sitia, kondilies de Mirabello. De grands joueurs travaillent ces particularités.
Et la lyre est là pour toutes ces expressions.
Toutes les lyres ont-elles le même son ?
NK : Ca dépend du bois, du technicien. Ma lyre vient de chez un
fabricant de Rethymnon, qui est décédé aujourd’hui,
mais qui a fournit des lyres à tous les grands joueurs de lyre
crétois parce qu’il savait choisir le bois. C’est très
important car la lyre est d’un seul bloc, sans assemblage ; le bois
est creusé et pour avoir l’épaisseur minimum, la sonorité
parfaite, il faut beaucoup d’expérience. Même le vernissage
est important. Aussi, le luthier est à la fois artisan et musicien
; c’est un artiste.
La danse compte beaucoup en Crète. Au vu de sa diversité,
peut-on parler d’un renouveau actuel ?
NK : Chaque région a ses danses locales : un « Syrtos »
dans chaque département ; on a le « Kastrinos » qui
vient de Kastro (forteresse) d’Héraklion. En plus de ces
deux danses, nous avons le « Pendozali » et la « Sousta
». La danse est pour le Crétois un moyen d’exprimer
sa fierté.
Nikos Kazantzàkis faisait dire à Zorba que le Crétois
ne danse que lorsqu’il est heureux. Peut-on dire alors que la lyre
est l’instrument du bonheur ?
NK : C’est sûr, on le voit dans les mariages, les fêtes,
la lyre parle de l’amour ; mais elle parle de la mort également
parce que ce sont les éléments de la vie. Oui, la lyre parle
de la vie et reste optimiste
Je voudrais parler d’un joueur exceptionnel, mort jeune : Rodinos.
Il avait la passion de la lyre. Egalement Skordalos, mon modèle.
Ces deux joueurs ont développé leur propre style, l’ont
inventé.
Décrivez-nous la technique de jeu de la lyre.
NK : On touche la corde avec les ongles, non avec la pulpe du doigt comme
la guitare. Et ainsi les doigts courent entre les cordes.
Et Nikos prit l’instrument.
De l’âme de la lyre partit la longue complainte du Rizitiko
que l’on entend dans les montagnes Blanches.
Propos recueillis par Christophe GOLFIER
pour le journal de l'association "Crète : terre de rencontres"
34 Rue des Mares Yvon - 91700 Ste Geneviève des
Bois.
Tel : 01 60 16 91 47 ou 03 27 44 32 27. |